
1969, un nouveau groupe musical voit le jour dans la commune de Kasa-Vubu à Kinshasa, la capitale du Congo. Au début, les gens font peu de cas de ce groupe. Et pour cause, les orchestres naissaient le matin et disparaissaient le soir. Le groupe nouvellement créé est constitué des jeunes (élèves) qui, pendant les vacances, se retrouvent pour passer un temps de loisir en fredonnant quelques airs musicaux sans se rendre compte que cette activité allait tracer tout leur destin.
Zaïko Langa Langa est le nom qui sera collé à cet orchestre à la veille de sa sortie officielle et dont la flamme ne cesse de briller au firmament de la culture congolaise depuis sa création. 49 années après son premier concert, il est toujours compté parmi les groupes à succès de la RD-Congo et du continent africain. Certaines voix éclatantes de la musique congolaise ont transité par ce groupe. L’on se souviendra de Jules Shungu Wembadio alias Papa Wemba, Benz Bozi Boziana, Evoloko Lay Atshuamo alias Jocker, André Bimi Ombale, Claude Lengi Lenga dit Ya Lengos, Dindo Yogo dit Ya Yogo, Siméon Mavuela Somo, le poète Gina Efonge Isekofeta Laofanza, Redo Likinga Mangenza… de cette aventure, le seul survivant des pionniers est Jehrsy Jossart N’yokaLongo Mvula. Le gardien du temple.
Cependant, le succès de ce groupe n’a pas seulement été l’œuvre de ces chanteurs mais aussi de ses instrumentistes notamment des solistes (guitaristes) de grand talent qui ont marqué, par leur virtuosité, la séquence rythmée de la musique du Congo-Zaïre connue sous le nom «sebene», exécutée généralement après le chœur pour faire danser.
Musique.cd a interrogé acteurs et mélomanes de Zaïko qui se sont prononcés sur les solistes qui ont participé au succès mythique de ce groupe à la renommée internationale. Liste non exhaustive :
Pépé Felly Manuaku Waku
Dix années (1969-1980) ont suffit à Pépé Manuaku Waku dans Zaïko pour écrire sa légende de guitariste chevronné. Premier guitariste soliste du groupe, il fait partie des trois musiciens (Jossart N’yoka Longo, Papa Wemba) qui commencent l’aventure Zaïko. Il gratte ses premières cordes à la Los Nickelos tout en y introduisant un style différent des autres groupes de l’époque. Pépé Felly se distingue de Franco Luambo Makiadi et de Docteur Nico Kasanda, deux grands guitaristes de l’époque qui appartenaient à deux écoles différentes. A ses débuts dans Zaïko, Pépé Felly, inexpérimenté, avait bénéficié de l’encadrement de Gégé Mangaya qui jouait déjà dans Thu Zahina. Les premières constructions musicales du groupe furent l’œuvre de Gégé. Pépé Felly et les autres guitaristes ont joué ce que Gégé avait composé.
Tout l’orchestre le surnommera «le magicien de la guitare» à cause de son doigté exceptionnel et de ses combinaisons des notes qui pouvaient maintenir les fans des heures durant sur la piste. Sa maitrise de l’instrument à cordes fera de ce génie le numéro un des solistes de la troisième génération de la musique congolaise. Pépé Felly combinait merveilleusement bien ses notes avec la batterie jouée par Meridjo, celui par qui est venu le rythme cavacha inspiré des bruits des roues du train. Un rythme qui, dans les années 70, va insuffler un nouveau vent à la musique congolaise.
Tous les jeunes groupes nés après ont sans nul doute subi l’influence de Zaïko Langa Langa en insérant la partie dite «sebene» (seconde partie de la chanson congolaise consacrée à l’animation et à la danse) a leurs chansons. Pour assaisonner ce nouveau rythme, Jossart N’yoka Longo va lancer quelques cris d’animation qui, quelques années plus tard, vont donner naissance au phénomène «atalaku».
Les mélomanes n’oublient jamais des chansons comme Pauline, Chouchouna, La Tout neige, Liwa ya somo, Conseil, Célé Felly, Mimerita, Mbeya mbeya, Onassis, Awa, Fièvre Mondo… exécutées par ce «magicien» de Zaïko qui reste, dans la mémoire collective, cette virtuose de la guitare qui a donné à la musique congolaise une nouvelle touche, à côté des grands guitaristes comme Luambo Makiadi, Nico Kasanda, Bokelo Isenge, Simaro Masiya, Nsiongo Bavon Marie-Marie de Negro succès, Kinzunga Tonton Ricos de Bela-Bela, Mavatiku Visi, Attel Mbumba, Guvano de l’Afriza, Mopero de Cavacha…
Lorsque Zaïko joua pour la première fois avec des instruments électriques, ce fut en concert jumelé avec l’orchestre Thu Zahina. Roxy Tshimpaka (soliste de Thu Zahina) sabota la guitare que devait utiliser Manuaku en la déréglant. Le son fut désagréable!

Albert RoxyTshimpaka
Très précoce, il commence à gratter à laguitare à l’âge de 12 ans. A 17 ans, il intègre le groupe Thu- Zahina de Bruno Bonyeme et autres Silibanda. Quelques années plus tard, il rejoint Zaïko Langa Langa après le départ, en 1980, de Pépé Felly Manuaku. Il sera surnommé «Grand Nyau» par Evoloko après son intégration dans le groupe. Son passage dans le groupe «Kossa-kossa» (géré par un certain Miezi), spécialisé dans les interprétations des chansons à succès des années 70, lui sera d’un grand apport dans Zaïko Langa Langa. «Grand Nyau» connaissait donc et interprétait à merveille les chansons jouées par Pépé Manuaku.
En 1981, il va rejoindre Langa Langa Stars, un nouveau groupe fondé par 7 stars de la chanson congolaise de l’époque dénommées «les 7 patrons» et dont la majorité était des transfuges du groupe Zaïko. Cet orchestre des «7 patrons» ne tardera pas à s’atomiser en 1984 à cause du succès fou qu’il va récolter. C’est cette dislocation de Langa Langa Stars qui poussera Roxy Tshimpaka à s’envoler vers une nouvelle aventure musicale avec Choc Stars, un autre groupe célèbre de l’époque fondé par Ben Nyamabo.
En 1995, il réintégrera le groupe Zaïko Langa Langa et participera à l’enregistrement de l’album « Avis de recherche » où il y jouera les titres : Molingano, Kimbulu et Amour suicide.

Matima Mpioso Zéphyrin
Reconnu grand bosseur au sein de Zaïko Langa Langa, «Mbuta Matima», de son surnom, était d’un calme olympien. Directeur artistique du groupe, il se penchait sur toutes les chansons en chantiers. Adamo Ekula, un ancien chanteur du groupe, dit de lui qu’il incarnait le style Zaïko. Avec Matima, les chansons étaient arrangées de façon à s’aligner sur ce style. «Lorsque nous avons été regroupés à la N’selé, il lui arrivait de nous garder de 11 heures à 5 heures du matin. Nous devions répéter les chansons jusqu’à ce que nous les maitrisions», confie Adamo.
Matima Mpioso a commencé par la musique pop au sein de Zaïko. Sa première exécution « typique » est BP yamunu de Gina Efonge. Très réservé et de caractère bien trempé, Mbuta Matima avait un amour fou pour son travail et surtout de Zaïko. Il est resté fidèle au groupe depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort. Il a vu arriver des vagues de jeunes musiciens et était toujours prêt à encadrer les jeunes guitaristes. Il aura marqué son temps par des envolées que les amoureux de Zaïko n’oublieront jamais. Il était l’un des meilleurs compagnons de Jossart N’yoka Longo et lors des répétitions et des enregistrements, le président du groupe était toujours sûr que le travail accompli par Matima était bien fait. Chaque fois qu’il transportait le public vers une autre dimension, Doudou Adoula ne manquait pas de dire : «A nge Matima, a Mbuta Matima, kolele !!!».

Baroza Bansimba
Baroza était connu des friands de la bonne musique congolaise grâce à son passage dans Grand Zaïko Wawa, un orchestre fondé par Pépé Felly Manuaku Waku après son départ de Zaïko Langa Langa. Il s’y est illustré dans la chanson «Menace de divorce». Il fit son entrée dans Zaïko lors d’un concert à l’ISP Gombe en 1988. C’est l’absence d’Avedila «Petit poisson», le soliste-titulaire du groupe au lieu de la production, qui va propulser Baroza sur la scène. Ce, après qu’Adamo Ekula a proposé à l’accompagnateur Enoch Zamwangana de recourir aux services de cette nouvelle recrue qui maitrisait merveilleusement le répertoire de Zaïko. Ce concert consacra le recrutement de Baroza au sein de Zaïko.
Il est décrit comme un amoureux de la guitare qu’il joue à la perfection. Baroza Bansimba était considéré comme l’incarnation de «Mbuta Matima» par sa rigueur et son esprit de travail fignolé selon les normes imposées par le style Zaïko, contrairement à son concurrent Shiro Shiro. Très inventif, il n’avait de souci que pour sa guitare et le plaisir du public était sa préoccupation. Succéder à des solistes de talent qui sont passés dans Zaïko n’était pas chose facile. Il fallait marquer les esprits et inscrire son nom dans les annales de ce groupe mythique du pays et de l’Afrique. C’est ce qu’il fera.
Tout au long de son parcours dans cet orchestre mythique, il va aligner des mélodies à succès dans : Dédé, Dédé sur mesure, Persévérer, Mukaji, Egide, Déception, Amie Mamibo, Exil, Bolingo Etumbu... Ses dernières notes mélodieuses se trouvent dans l’album «Avis de recherche» dans lequel il va faire exploser tout son talent comme s’il savait que c’était le dernier opus de sa vie. «Allo Baroza cimetière !, je demande, je commande, binisa bango, dit !», ce cri d’animation que lui lançait Nono Monzuluku était pour lui demander de changer de rythme quand le moment magique était arrivé. Cette magie qu’il communiquait au public a pris fin dans «Avis de recherche».
Prendre le groupe sur son dos et faire rêver les fans de Zaïko à chaque production scénique et discographique constituaient son leitmotiv puisque le public ne cessait de lui en demander davantage.

Shiro Shiro
Venu de Minzoto Wella-wella, il va aussi intégrer le groupe Zaïko en 1988 jusqu’à se faire une place aux cotés des grands comme Matima Mpioso. De son vrai nom Mvuemba, Shiro Shiro a apporté la jeunesse dans le groupe. Un peu fou, guitare à la main, le public appréciait sa liberté d’improvisations lors des productions scéniques. Sa concurrence avec Baroza a donné une autre dimension artistique au groupe, chacun voulant faire mieux que l’autre.
Shiro Shiro est passé par le même parcours que ses ainés, il a appris la guitare très jeune et jouer dans Zaïko était son rêve. Shiro Shiro à la guitare solo, Omer Boanga à la guitare mi-solo, Enoch Zamwangana à l’accompagnement, Motingia à la basse, le public ne pouvait demander mieux. Ayant travaillé avec tout le groupe pour l’arrangement de l’album «Avis de recherche», il mourra cependant avant d’avoir mis ses pieds au studio. Ainsi, pour honorer la mémoire de ce talentueux guitariste, Yoto Mayata Nkelani dit« Delta Force » jouera fidèlement la guitare de Shiro tel qu’il avait lui-même répété dans les chansons : «Zekira et Nzete ya mbila»,…
